Le capital santé – santé mentale comprise – des personnes qui vivent dans le besoin est comme vous le savez prématurément « entamé » par le stress chronique, le logement insalubre, la malbouffe pas chère, l’alcool ou le tabac… Et la pauvreté n’a rien d’un épiphénomène. Depuis 1990, l’inégalité de revenu mesurée à l’aune des statistiques fiscales croît. En 2010, 15,3% des Belges connaissaient un risque de pauvreté et 5,7% souffraient de privation matérielle grave, antichambre de l’exclusion sociale. Un bon 30% des gens précarisés vivent dans un logement dont toit, fenêtres, portes ou murs présentent des défauts structurels, ou sans bain/douche ou sans toilette avec chasse d’eau. 1.400 quartiers ont été étiquetés comme en difficulté, concentrés au sud à Bruxelles, Charleroi et Liège, et hébergeant environ 1,7 million d’habitants. Le nombre de sans-abri est évalué à 17.000 (*).
Un autre rapport au monde
Difficile, comme médecin généraliste, d’affirmer n’avoir jamais croisé des personnes dont la personnalité attachante reste la seule richesse. Difficile, également, de soutenir que la relation à ces patients démunis soit simple. Ils n’ont pas le même rapport au temps, à l’espace et au corps que le reste de la société. Quand un citoyen lambda se projette dans ses vacances de l’été suivant, ils n’ont comme horizon temporel que le soir même (parfois avec la question : « où vais-je dormir ? ») ou les jours qui suivent. Leur espace se résume souvent au périmètre logement – CPAS – Aldi – bistrot du coin et cabinet du médecin. Et pendant qu’une part de la population soigne son apparence jusqu’au bout des ongles, eux ne consultent pas pour des problèmes de santé prégnants, ou tard, ou irrégulièrement… alors que leur(s) pathologie(s) le nécessiterai(en)t. Par ignorance, indifférence, manque de moyens ou parce qu’ils ne s’accommodent tout simplement pas d’un cadre contraignant. Les rendez-vous brossés ne se comptent plus, la compliance est un combat…
20 minutes d’authenticité
Pour réfléchir en groupe à la façon de nouer (et faire durer) le dialogue avec ces patients en marge, l’asbl Promo Santé et Médecine Générale (née du partenariat entre la SSMG et la Fédération des maisons médicales) a confié à Vincent Litt, médecin de santé publique et anthropologue, les rênes d’une séance de sensibilisation en glem ou DDG. La pierre angulaire de l’animation est un petit film émouvant d’une vingtaine de minutes, où patients indigents et médecins généralistes entrecroisent leurs témoignages, dans un sobre face caméra. Des patients que la vie a malmenés, isolés socialement, rendus défiants, peu enclins à accorder leur confiance sauf peut-être à leur médecin, après avoir tâté sa réceptivité, jaugé s’il ne constituait pas une menace pour l’unité du petit noyau familial qui leur reste, ou un intrus trop directif dans leurs (mauvaises) habitudes – les comportements à risque étant parfois le seul piment, ou dérivatif, de leur existence… Quant aux médecins qui s’expriment, on les sent touchés de la confiance qu’on place en eux, comme investis d’une mission en retour, attentifs à l’aspect coûts des soins et des médicaments, mais aussi régulièrement remplis d’impuissance devant le total dénuement.
Moins dans le jugement
Le film éveille nombre de questionnements auxquels chaque praticien, en fonction de son vécu et de sa sensibilité, apportera sa réponse. On n’est pas dans une présentation de cas clinique, clôturée par l’énoncé d’une conduite quasi unique à tenir. Mais gageons que les MG qui auront suivi la sensibilisation aborderont dorénavant leurs patients précarisés en s’interrogeant sur leur personnalité et leur parcours, en se plaçant davantage dans l’écoute et moins dans le jugement. Le patient qui sent mauvais, met mal à l’aise le reste de la salle d’attente, arrive toujours en retard ou trop à l’avance, n’a parfois pas l’eau courante et seulement un bus toutes les deux heures.
L’écoute permet de déceler aussi, derrière la plainte médicale, le SOS au MG-assistant social. C’est ici que le MG peut faire jouer son réseau, s’exprimer – le cas échéant collectivement, à l’échelle d’un cercle – en usant de sa crédibilité de médecin pour interpeller les pouvoirs publics locaux sur l’insoutenabilité de certaines situations.
(*) compilation de statistiques effectuée dans ses FAQ par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Une animation à la demandeL’asbl Promo Santé et Médecine Générale peut assurer à la demande dans les dodécagroupes et les glems une séance de sensibilisation avec projection du film de Vincent Litt. Si vous êtes intéressé, manifestez-vous auprès de therese.delobeau@ssmg.be |
Mise en ligne : 20/12/2013